L’architecture en gradins des années 80
La résidence du Dragon, rue Jules Moulet dans le 6e arrondissement
Au pied de Notre-Dame de la Garde, rue Jules Moulet, se trouve un ensemble souvent méconnu : la résidence du Dragon. Construite en 1986 par l’architecte Mario Fabre pour la Sogima (Société de Gestion Immobilière de Marseille), elle a été conçue pour loger les travailleurs du port et de l’industrie maritime, alors nombreux dans ce secteur du 7ᵉ arrondissement.
Le quartier de Notre-Dame de la Garde conserve encore aujourd’hui des traces de son passé populaire, marqué par de petits immeubles de faubourg et des ruelles escarpées. La rue Jules Moulet suit d’ailleurs le tracé de l’ancien funiculaire de Notre-Dame de la Garde, inauguré en 1892 et exploité jusqu’en 1967. S’il n’en reste presque rien, les deux anciennes gares, l’une sur le cours Pierre Puget, l’autre près de la basilique, subsistent, transformées mais toujours visibles. Ces vestiges participent à la dimension patrimoniale du site.
Un tournant pour l’urbanisme marseillais
Les années 1980 marquent une période charnière pour Marseille. Après les crises économiques des années 1970 (fermeture des chantiers navals, déclin du port autonome, chômage massif), la ville cherche de nouveaux modèles urbains. Les grands ensembles construits dans les décennies précédentes sont critiqués pour leur anonymat et leur dégradation. Au niveau national, l’État promeut un urbanisme plus « qualitatif » : architecture à taille humaine, résidentialisation, et implication des habitants.
À Marseille, cette orientation se traduit par la réhabilitation des quartiers anciens dégradés (notamment au Panier ou à Belsunce) et par la construction de petites résidences comme celle du Dragon, destinées à maintenir des familles en centre-ville. La Sogima devient alors un acteur essentiel de cette stratégie, produisant du logement intermédiaire, accessible aux salariés modestes et aux classes moyennes.
Un habitat en gradins, entre paysage et modernité
La résidence du Dragon illustre cette volonté de concilier densité et qualité de vie. Composée de bâtiments de quatre étages disposés en gradins pour épouser la pente de la colline, chaque logement dispose d’un balcon ou d’une terrasse orientés vers la ville. Les façades claires, les cheminements piétons et les petites placettes créent une atmosphère apaisée, tout en s’inscrivant dans le paysage dominé par la basilique.
Ce principe du gradin, courant dans les années 1980, répond à la fois à la topographie et à une recherche d’intimité au sein du collectif. D’abord, il permet de s’adapter à un terrain en pente, ce qui est le cas ici, sur les flancs de Notre-Dame de la Garde, tout en offrant à chaque logement une terrasse ou un balcon qui profite de la vue. C’est aussi une façon de se différencier des constructions en barre des grands ensembles des décennies précédentes, en travaillant des volumes plus bas, plus fragmentés, et en créant des espaces semi-privés. Cette esthétique de l’habitat en gradins est un marqueur de l’urbanisme post-moderne, qui s’inspire des expérimentations architecturales de l’époque. On la retrouve dans d’autres réalisations des années 70-80 : par exemple, la Cité des Étoiles de Givors de Jean Renaudie, ou le Village Olympique de Barcelone construit pour les JO de 1992, mais conçu dès la fin des années 80. Même à l’international, des projets comme l’Habitat 67 de Moshe Safdie à Montréal ont popularisé l’idée d’immeubles « empilés » en modules avec de grandes terrasses, pour redonner à l’habitant l’impression d’une maison individuelle dans un collectif.
La fermeture résidentielle
Aujourd’hui, le 7ᵉ arrondissement est l’un des plus chers de Marseille : les prix dépassent souvent 6 000 € le m², parfois davantage près de la Corniche. Cette pression immobilière transforme la sociologie d’un quartier plutôt habité par des classes populaires durant le 20e siècle, désormais marqué par l’arrivée de ménages plus aisés et le développement de locations saisonnières.
Plus récemment, la résidence du Dragon a fait l’objet d’une fermeture par grillage et portails. Ce choix, qui peut sembler anodin, illustre un phénomène urbain plus large : celui de la fermeture résidentielle. Selon une étude menée entre 2007 et 2010 par Elisabeth Dorier, Isabelle Berry-Chikhaoui and Sébastien Bridier, auteurices de l’article '“Fermeture résidentielle et politiques urbaines, le cas marseillais” publié en 2012, près de 20 % des logements marseillais se trouvent dans des ensembles fermés, et dans certains quartiers, cette proportion dépasse 40 %. Cette dynamique répond à plusieurs logiques : recherche de sécurité, préservation d’espaces communs, mais aussi une stratégie immobilière, puisque la fermeture est devenue un argument de valorisation et d’attractivité.
Mais elle contribue aussi à fragmenter le tissu urbain et à réduire la porosité des quartiers. La fermeture du Dragon s’inscrit ainsi dans une tendance marseillaise où l’habitat tend à se protéger et à se replier, au détriment d’une ville ouverte et traversable.
On a rencontré un habitant qui nous a parlé de ce qui lui plaît dans cette résidence :