Brasília Teimosa, la communauté têtue de Recife

Crédit image : Folha de Pernambuco

Occupée depuis les années 1950 comme une zone informelle de palafitas (maisons sur pilotis, en portugais) en bord de mer, la communauté de Brasília Teimosa a longtemps vécu dans la fragilité et l’incertitude juridique. Face aux expulsions et aux menaces foncières, la ténacité de ses habitant·es est devenue légendaire, au point de donner le nom de Teimosa à la favela, “la têtue” ou l’“obstinée”.

Située dans la zone sud de Recife, Brasília Teimosa est une communauté populaire d’environ 18 000 habitant·es, réparti·es sur 61 hectares. L’occupation informelle du terrain remonte aux années 1940 - 50 : des familles pauvres, des migrant·es et des travailleur·ses modestes ont investi le littoral (souvent des remblais) pour y construire des palafitas et vivre de la pêche ou de métiers informels. Le quartier s’est développé dans ce contexte urbain, entre les risques liés à l’océan et aux inondations, l’exclusion sociale et des politiques publiques d’aménagement peu favorables. Malgré les menaces, les expulsions et les démolitions, les habitant·es ont reconstruit et réinvesti le terrain sans cesse, donnant tout son sens au nom du quartier. Plusieurs tentatives de relogement et d’urbanisation (notamment via l’ancienne Banque nationale de l’habitation) ont également eu lieu, souvent incomplètes ou sans régularisation foncière réelle. Pendant longtemps, Brasília Teimosa était stigmatisée pour la vulnérabilité de ses habitant.es, dans une position marginale par rapport aux dynamiques d’urbanisation et de valorisation du littoral de Recife, sous la pression constante de la spéculation immobilière, du tourisme et du développement urbain lointain.

Depuis quelques années, un virage politique et administratif a modifié la trajectoire de Brasília Teimosa. En 2022, la municipalité a engagé l’aménagement du quartier : création d’une traversée piétonne, élargissement des trottoirs, sécurisation des déplacements pour piétons et cyclistes dans le cadre de la modernisation de voirie. En 2024, la réhabilitation de l’un des kiosques (espace commercial et de sociabilités) du front de mer, dans le cadre du projet de rénovation du littoral de Recife, a été livrée, preuve que la municipalité commence à intégrer Brasília Teimosa dans des politiques urbaines plus larges.

Enfin, le 14 aout 2025 marque le début de la régularisation foncière du quartier : le pouvoir municipal et fédéral ont remis, dans le cadre du programme social Programa Imóvel da Gente, 599 titres de propriété à des familles du quartier, dont 66 % au nom de femmes cheffes de famille. Ces familles ont ainsi reçu la reconnaissance juridique de leur droit à la terre. Au total, cette première étape a concerné 1006 lots fonciers (certains lots correspondent à plusieurs familles ou restent en attente d’attribution), avec l’objectif de régulariser progressivement 6 769 lots sur l’ensemble du quartier d’ici 2026. La municipalité a également annoncé qu’ils bénéficieront d’exonération de taxe foncière afin d’alléger la pression fiscale sur ces foyers.

Lors de la cérémonie de remise des titres, à laquelle était présent le président Lula, il a souligné que cela représentait une victoire pour la communauté face à la spéculation immobilière : “ Vocês são os verdadeiros donos dessa terra” (“Vous êtes les vrais propriétaires de cette terre.”) Représentant les bénéficiaires de Brasília Teimosa, Clodoaldo José Lima, un habitant, a rappelé l'histoire de la lutte de la communauté : “C'est un accomplissement historique. Brasília Teimosa, c'est la résistance. Nous nous sommes battus pendant des décennies, depuis l'époque des maisons sur pilotis, face aux expulsions et à la spéculation. Aujourd'hui, nous avons la sécurité nécessaire pour élever nos enfants sans crainte, avec les titres de propriété en main. Cette victoire appartient au peuple et personne ne peut nous la ravir”, a-t-il déclaré.

Si cette victoire marque effectivement la reconnaissance de la communauté et la sécurisation juridique pour des milliers de familles, elle reste partielle et très fragile :

  • La régularisation porte sur les lots, mais les autres défis demeurent : inondations, élévation du niveau de la mer, insalubrité ou vétusté des constructions ;

  • La pression immobilière et touristique sur la côte de Recife est plus forte que jamais : la montée des investissements, la valeur du foncier, l’attractivité du littoral pourraient rouvrir des conflits, des enjeux de spéculation, d’éviction ou de revente ;

  • La transformation urbanistique est récente, la réhabilitation d’un kiosque ou la sécurisation de trottoirs ne suffiront pas à masquer le reste des aménagements ou politiques publiques à prévoir : l’ensemble des équipements urbains, les services, les garanties d’accès à l’eau, à l’assainissement, à l’emploi ou à l’environnement.

 Brasília Teimosa montre que plus qu’une victoire juridique, la remise des titres est le fruit d’une bataille menée par une communauté bâtie sur des décennies de solidarité et de résistances. Cela rappelle que l’urbanisme, au-delà d’un projet technique  est politique, culturel et mémoriel. La mobilisation de la communauté interroge les rapports de force entre spéculation et droit à la ville, et invite à repenser ce que signifie vraiment habiter une ville fragmentée et littorale pour les classes populaires. La venue de David Harvey à Recife quelques années plus tôt, pour y discuter des dynamiques urbaines et du droit à la ville, souligne que ces luttes locales s’inscrivent dans un débat global sur la justice spatiale et la gouvernance des villes.

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